LA CORSE / CORTE

 

TOPO

 

7 jours / Octobre 2017 

 

Je pars seule rencontrer pour la 2ème fois de ma vie ma famille corse, artisans potiers et habitants de Corte.

La première fois, je n'avais que 12 ans. 

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La famille est une dimension particulière pour chacun. Les liens, les affections, les connexions ... tout diffère d'un individu à l'autre. Cependant le plus souvent, la notion collective entraîne le rythme global : les branches familiales se retrouvent mutuellement, toutes générations confondues et généralement autour de conventions sociales structurelles en fonction des sociétés dans lesquelles elles vivent . Noel, Pâques, les vacances, le pont du 15 août, les mariages... je n'ai jamais apprécié ce système calendaire standardisé pour régir la dynamique interactive des liens du sang. Je le trouve absurde et frustrant, lorsque ce n'est pas hypocrite. Notre espèce accorde à l'hérédité des valeurs affectives exemptes de toute objectivité et rationalité pour former ce concept aux limites floues que demeure le groupe de la "famille". Les interactions qui se devraient alors naturelles entre individus sont dès le plus jeune âge imposées et surtout, normées. Une sorte d'autorité hiérarchique affective se dresse : plus les liens de parentés sont éloignés, moins il sera tenu rigueur de ne pas honorer les devoirs familiaux ou d'éprouver un attachement sincère. Quand bien même des cousins éloignés seraient physiquement plus proches de notre foyer qu'une tante qui vivrait à l'opposé du globe. 

 

Face à cette ineptie conventionnelle se positionne indiscutablement l'Amitié, pour balayer d'un revers ce paradoxe du "devoir sentimental". Un auteur que j'apprécie, Boris Cyrulnik, en explique très bien les rouages. Lors de mes voyages, j'ai à maintes reprises profité de l'hospitalité désintéressée d'inconnus qui devinrent en quelques jours des personnes de référence, pour certains des amis. Et concernant mes amis actuels les plus proches, bien que n'étant pas reliés par une généalogie commune, nous partageons une connexion réelle, très intime et loyale. Il n'est pas rare d'assimiler nos meilleurs amis à des frères ou des sœurs qui pourraient parfois concurrencer les vrais. On utilise également l'expression de " famille choisie " : les amis nous connaissent généralement bien mieux que notre entourage familial .

 

C'est sur ces considérations, en me rappelant mon habitude de dormir chez des inconnus en voyage, que je repensais à ma famille corse que je n'avais aperçue que quelques jours lorsque j'avais 12 ans et que les circonstances familiales n'avaient pas rappelée depuis : mon frère n'allait pas les voir et mes parents non plus bien que le contact téléphonique soit toujours un peu présent. Je pense que passé un certain âge, chacun se doit de gérer comme il l'entend ses propres liens avec les personnes, indépendamment de la dynamique collective. C'est entre soi et soi. C'est donc en octobre 2017 que je décidais à la surprise générale de partir seule les rencontrer de nouveau, sans le cadre d'un " voyage familial ". Ce n'était pas mes cousins que je désirais voir, mais ces personnes que je ne connaissais que trop mal et qui partageais pourtant un lien du sang : quand bien même nous n'aurions pas été génétiquement reliés, je voulais faire leur connaissance et gérer mon propre rapport entre eux et moi, sans attendre l'initiative de ma famille proche. A un certain niveau, je pense que la notion de famille devient incohérente . En tant qu'humains, nous ressentons de l'affection et/ou de l'intérêt pour certains de nos pairs de façon spontanée ou non ; pas seulement car c'est écrit sur le papier. Autrement, dans un sens comme dans l'autre, cela ne veut plus rien dire. 


Je prends donc mes billets pour séjourner une semaine chez eux. Ils sont artisans potiers de profession dans la ville de Corte, au niveau de la vieille ville située en hauteur. J'ai encore de vagues souvenirs de leur atelier et de l'ambiance pittoresque du quartier, de ces ondes authentiques et chaleureuses qui en émanaient. A mon arrivée à l'aéroport de Bastia, on vient me chercher. ( Par respect de la vie privée de mes cousins, je ne citerais ni leur prénom ni ne les décrirai ) Immédiatement le courant passe et je suis contente de m'apercevoir que nous avons le même tempérament : j'aime les caractères francs, simples, sans fausses manières ou fausses politesses. Parfois, cette attitude peut être apparentée à de la rudesse ou de la brusquerie pour certains mais il n'en est rien. C'est seulement la façon de communiquer la plus naturelle des gens sincères, sans fioritures inutiles. L'inverse me met mal à l'aise ou m'agace. J'ai longtemps été habituée avec ma grand mère paternelle et nos origines basques/landaises à cette pudeur des sentiments mais dans le même temps, à cette liberté d'expression débarrassée de complaisances ou d'hypocrisie. Nous arrivons enfin au village entouré des montagnes et je redécouvre ces ruelles alambiquées et tortueuses de pierres brutes. L'air est pur, les perceptions sensorielles sont un délice : le calme plat de la nature, les pas d'une cadence lente qui résonnent sur le petit pavé, le vent qui fait bruisser les feuilles... je retrouve mon habitat naturel, très loin de la chambre hermétique et aseptisée que demeure Paris. Je respire enfin, dans ce rythme des hommes. J'oublie la folle course effrénée des parisiens qui n'a ni queue ni tête, leur empressement grotesque, leurs airs d'importance et d'individualisme qui sillonnent la capitale dans l'anonymat étourdissant d'une masse compacte. Je ne suis pas une femme des grandes villes : le Temps m'est bien trop précieux, je le savoure pieusement au lieu de lui courir éternellement après. Je me demande aussi quel sera mon accueil ici, venant de cette ville d'habitants peu réputée sur l'île aha Mais je ne m'inquiète pas vraiment : il suffit de me connaitre quelques instants pour s'apercevoir que je suis naturelle, active et que je me fiche du superficiel. En début de soirée nous prenons l'apéro sur la terrasse d'un café populaire et une semaine inspirante s'annonce.

L'ATELIER

 

Mes cousins vivent dans le quartier Chiostra et leur boutique est réputée, de nombreux touristes affluent chez eux en saison lorsqu'ils passent par la ville. L'atelier est situé en rez de chaussée tandis que deux étages supplémentaires permettent d'y vivre. Les appartements de chacun sont en revanche dispatchés entre la ville de Corte et Riventosa, à quelques kilomètres de là. C'est un lieu chaleureux et confortable où ils se retrouvent pour manger ou faire la sieste et c'est là que je séjournerai. Je me sens immédiatement à l'aise avec eux et dans un environnement qui me semble familier depuis toujours. L'atelier est constitué de plusieurs pièces et de salles d'expositions : il y fait humide et frais, on s'habitue très vite à l'odeur apaisante de l'argile. Il me tarde d'essayer et je suis excitée de voir un endroit pareil, dédié uniquement à l'artisanat et la créativité. Aucune place n'est perdue et seul est essentiel ici l'espace de création pur, sans artifices ou esthétismes fortuits. Je me sens comme dans mon propre atelier, où déborde en chaque recoins mes outils et ustensiles mais dans lequel je suis en revanche contrainte de garder un espace de vie normatif pour accueillir mes élèves : ça ne tiendrait qu'à moi, je dormirai à même un matelas entre deux tréteaux si cela me permet de m'étaler et d'exploiter au maximum la superficie, sans limites et sans contraintes. 

 

J'accompagne un jour un de mes cousins à Riventosa pour chercher les sacs d'argile et découvre la maison qu'il a bâti de ses mains ainsi qu'une autre bâtisse où demeure le four principal pour les fournées de pièces. Il m'explique que l'hiver, ils remontent tous dans ce village plus élevé pour tourner ( action de modeler les pièces à base d'argile grâce à un tour ) et redescendent au début de la saison touristique à Corte. La maison surplombe les montagnes et les vues ne cessent de m'attirer. J'en apprends davantage sur cette famille et le parcours qui a du être fait pour équiper cet atelier et prendre ce chemin de vie. Leur histoire, dans leurs débuts, me rappelle ma propre situation : une vocation en sens contraire des attentes générales, des opportunités d'études supérieures refusées pour se consacrer pleinement à sa passion, une détermination et confiance à toutes épreuves. Ce sentiment parfois, de mouton noir dans le champ familial . Je suis en effet la seule de mon entourage intime à avoir pris la voie artistique et aventureuse, hors des sentiers battus. Cette comparaison devient alors un peu réconfortante, j'admire leur persévérance et ténacité. 

 

 

J'alterne mes journées entre la vie de l'atelier et les montagnes. Mes cousins m'ont donné les clés et je peux m'essayer à l'argile, au modelage, à la poterie et la sculpture lorsque je le souhaite. Mes débuts sur le tour sont complexes : le travail de la céramique est très minutieux et les formes se doivent d'être irréprochables de symétrie, accordé à la vitesse de la rotation de la pièce. Ma cousine m'explique que lors de ses premières fois à mon âge, elle en avait pleuré d'acharnement et de frustration tant l'apprentissage était difficile et long . Il s'agit d'un métier qui ne s'improvise pas . Rapidement, je m'intéresse à l'argile elle-même qui me donne envie de la modeler pour faire une sculpture. C'est une grande première pour moi, je découvre les différents outils disponibles et ce matériau. Je commencerai sur place un visage mi-crâne / mi-homme , que je finirai une fois rentrée sur Paris. Je retrouve enfin mon mode de vie un peu sauvage, qui consiste à me concentrer uniquement sur ce que j'aime en dépit de ce que je considère comme des détails : me nourrir correctement, dormir suffisamment, m'habiller décemment... je porte sans complexes mes jeans troués et tâchés de peinture, mes sweats, mes baskets usées et me moque pas mal de descendre à l'épicerie les ongles couverts de terre, quelques mèches de cheveux parfois imbibées d'argile séchée. Je chauffe rapidement de l'eau et verse de la semoule au fond d'une tasse pour manger en quelques minutes puis je descend à l'atelier en pleine nuit pour y travailler jusqu'à l'aurore. 



 

LES TREKKS

 

Au petit matin je remonte ensuite rapidement prendre une douche puis emporte quelques fruits dans mon sac pour grimper les montagnes environnantes. J'ai acheté le deuxième jour une carte IGN de la région mais je regrette encore aujourd'hui de ne pas avoir emmené mon matériel de randonnée. Je pensais passer la semaine à l'atelier mais l'appel des massifs était plus fort que tout. J'y ai répondu, sans lampe frontale ou vêtements adéquats et vous verrez que cela me jouera des tours aha

 

Mon premier trekk ici totalisera 11h30 de marche avec 1h de pause au sommet. 

 

Il s'agit d'une randonnée pour atteindre l'Arche de Corte ( ou Arche de Padule ou encore Arcu di Scandulaghiu ) et cette ascension est qualifiée de "difficile" mais le plus souvent, une fois atteinte, les randonneurs font demi-tour pour rentrer. Sur ce parcours, ma carte IGN ne recouvrait pas la partie Nord mais je voyais le marquage continuer après le passage de l'Arche, j'ai donc décidé de continuer sans savoir véritablement la longueur ou l'orientation du chemin à suivre. Au départ très matinal et frais du trekk, je portais un manteau épais faute d'avoir mes tenues de sport mais c'était sans compter la chaleur écrasante qui n'avait pas tardé à m'accabler une fois le soleil levé dans ce paysage très sec. C'est donc après une vingtaine de minutes au début de l'ascension que je décide de cacher mon sac contenant mon manteau sous un arbre pour revenir le chercher une fois de retour à la ville, quitte à perdre 40 minutes pour cet aller-retour. A la place, je prends uniquement une petite banane qui contiendra une petite bouteille d'eau, une banane, deux biscuits et un rouleau de PQ ( eh oui ! aha ). Je localise l'endroit ( le cercle violet sur la carte ) sur mon téléphone, je prend des photos stratégiques pour me souvenir de l'arbre qui ressemble à tous ses congénères et je redémarre . La première partie de la matinée se fait sur le flanc exposé de la montagne, le soleil tape fort et la végétation a désormais disparu. Je fais une petite pause de 5min contre un gros rocher lorsque j'entend des bruits de frottements... au-dessus de ma tête ! Avec une bonne distance de sécurité qui ne suffisait pas forcément à me rassurer, je vois alors un aigle tournoyer lentement autour de moi, sans bruits. C'est la première fois que j'en voyais un de si près, sa taille m'impressionnait . Je me relève et adresse au charognard " Hey ! J'suis pas encore toute raide et séchée hein... la prochaine fois mon pote  "

Vient ensuite une montée raide à travers des arbres et les couleurs automnales. Vers midi, je rejoins enfin l'Arche, suspendue à flanc de montagne :

Il s'agit d'une structure rocheuse naturellement creusée et qui l'a rendue populaire chez les grimpeurs.  Je profite de l'ombre et de la vue, splendide. 

Je poursuis alors mon chemin, au delà de ma carte, jusqu'aux Bergeries de Padule qui reposent sur un grand plateau élevé. L'endroit est absolument désert et je n'ai croisé jusqu'ici sur l'ascension que deux locaux qui redescendaient. Je ne le savais pas encore à ce moment là mais je ne verrais plus personne jusqu'à la nuit tombée. Je dépasse les bergeries et tout à coup, le marquage du parcours disparaît : j'ai face à moi une forêt de branchages et d'arbres renversés sans aucune voie de passage. J'en conclu qu'il s'agit soit d'un entretien, toujours en cours, de la main de l'homme ou du passage d'une tempête. Quoi qu'il en soit, je traverse tant bien que mal cette barrière naturelle en espérant retrouver derrière le chemin. Heureusement, j'ai un excellent sens de l'orientation ce qui me permet d'être en confiance dans ce genre de situation. Je pensais que la marche à l'aveugle durerait une dizaine de minutes tout au plus mais ce sera le double de temps nécessaire avant que je retrouve enfin, pèle-mêle, le début d'un sentier ( le petit cercle jaune sur la carte ) . Je reprend ma route et observe que les marquages sur ce versant sont très abîmés et presque invisibles : ce chemin semble très peu emprunté tant il n'est pas entretenu. Effectivement, je comprendrai plus tard en vérifiant sur le Portail des cartes IGN que je venais de prendre une direction très peu pratiquée et quasiment laissée à l'abandon, les locaux préférant un chemin plus au Nord ( en pointillés surlignés de rose sur la carte ) . Je m'approche sans le savoir de la Forêt de Forca, très accidentée sur le départ. Je reste sereine car je repère déjà le flanc de montagne descendant qui me permettra de rejoindre le nord de Corte : quelque soit l'issue, je trouverai le moyen de redescendre. En revanche, ce que je n'avais ni vu ni anticipé car camouflé dans le massif et sous une épaisse couche de végétation ... un ravin. Le ravin de Padule. Progressant sur le flanc dont il était issu, j'étais sur le côté gauche de son commencement, sur une pente très forte. Les aiguilles sèches de pin roulaient sous mes chaussures et le chemin qui serpentait de façon chaotique commençait à totalement disparaître. J'ai donc continué sur ce flanc très lentement, le degré d'inclinaison étant si raide qu'il me fallait continuer sur les fesses pour éviter la chute. Je savais que cette direction ne devait pas être la bonne ou alors qu'il s'agissait d'un passage qui s'était abîmé : peut-être un éboulement avait-il emporté un morceau du parcours ? La forêt était si compacte qu'il était impossible de voir à plus de 5 mètres.

Et c'est là que je le vis, mon corps étalé le long de la paroi, me retenant à d'épaisses racines : le ravin était sous mes pieds, à quelques mètres. Je garde mon sang-froid et recule lentement, avec beaucoup de précautions et de prudence pour que mes chaussures ne glissent pas sous les petites pierres et cette terre très sèche. Finalement, je parviens à revenir sur mes pas et me redresser à nouveau. Je coupe sur l'Ouest avec un début d'appréhension : il faut qu'un chemin s'y trouve car le ravin sépare le flanc en deux, je ne pourrais pas le traverser. Lorsque je retrouve enfin un ancien marquage sur une pierre, je soupire de soulagement. C'est bon, je suis revenu sur le côté praticable. Plus tard, je lirais depuis Internet les commentaires de cyclistes tout terrain sur cette partie sauvage de la montagne : " La piste qui arrive à la bergerie a été complètement ravagée. Ce n'est plus qu'une coulée de cailloux à de nombreux endroits, tout le reste c'est un peu l'archétype du sentier corse: pourrait être superbe mais à cause d'un manque d'entretien flagrant, se transforme en supplice. Tout y passe, pavasses de partout et surtout en plein milieu du chemin, trace mal marquée, buissons qui bloquent le cintre et propulsent dans le ravin, arbres tombés laissés en plan, ronces qui arrachent les mollets, les grips et les vestes..  " Peu à peu le début de soirée s'installe, je n'ai plus que quelques heures pour redescendre. Une fois la forêt traversée, je découvre le ravin et ce décor très rocailleux. Le réseau revient et je visualise sur Google Maps un refuge forestier que j'espère encore debout au cas où je devrais y passer la nuit : ce n'est pas le cas, la toiture a disparue, seuls des vestiges de pierres subsistent. J'accélère le pas et à la nuit tombée, je rejoins enfin la partie nord de Corte. Les lampadaires déjà actifs m'accueillent dans ces rues étroites. La journée aura été longue mais délicieuse . Les pieds encore douloureux, il me tarde déjà d'explorer les autres versants . 

 

Mon second trekk se fera jusqu'aux lacs de Capitello et de Melo en passant par la célèbre Vallée de la Restonica et ses gorges

La Restonica est une rivière de 18km prenant sa source au Lac de Melo à 1711 mètres d'altitude sur le Monte Rotondo avant de rejoindre le cours du Tavignano. 

 

Je pars très tôt du village direction l'unique route longeant la rivière qui se rend aux Bergeries de Grotelle à 15km de là, depuis lesquelles il est possible de grimper jusqu'aux lacs. Je fais du stop pour la première fois en étant seule mais la région me rassure et cette voie déjà engagée n'a que pour objectif l'accès aux bergeries, ce qui limite les intentions d'origines des conducteurs. Il est environ 9h du matin lorsque rapidement une voiture avec trois passagers s'arrête. Je fais la rencontre d'Elsa, Sébastien et Julien venus pour les vacances. Nous sympathisons immédiatement et randonnons ensembles jusqu'aux Lacs. Je motive Elsa à voyager davantage, à prendre confiance en elle pour vadrouiller seule et lui donne des conseils : nous avons tous rencontrés un jour un voyageur solo qui nous a donné l'envie de sauter le pas. Nous redescendons par un autre chemin plus escarpé et ils décident de manger au petit restaurant des bergeries. Je les accompagne avec une boisson avant de les quitter pour continuer seule par la Restonica, à pied. La rencontre fut super agréable : la nature apaise les Hommes et rend naturel le contact. 

C'est le début d'après-midi lorsque je prends le sentier de la Restonica qui traverse plusieurs cascades et piscines naturelles absolument magnifiques. L'environnement est superbe et impressionnant de sérénité : aucuns touristes, à nouveau, n'est sur ma route.  La rivière s'échappe paresseusement des éboulis de roche pour former des petits lits d'eau ci et là, entre les arbres. Le chemin a très peu de dénivelé dans la première partie, il serpente tranquillement à travers la végétation luxuriante. Dans la seconde partie, je prends de la hauteur pour finir par surplomber la route et la rivière : je suis dans les Gorges de la Restonica. La vue est impressionnante de beauté. Et c'est aussi là que j'eu la plus belle frayeur du voyage : je filmais avec ma Go Pro le sentier très étroit au dessus du vide lorsque j'entendis un son caractéristique de sabots foulant précipitamment le sol, environ 7 mètres devant moi. Sans réfléchir et par instinct, je ne cherche pas à regarder ce dont il s'agit, je bondis brutalement sur la paroi située à ma gauche sans me retourner et escalade subitement le plus vite possible pour mettre un maximum de distance avec le bruit. Mon cœur bat très vite et je reste concentrée : je progresse en flèche droite à travers les buissons pour prendre encore de la hauteur. Lentement, je longe en parallèle le chemin initial et je les aperçois, en contrebas. Deux vaches et un petit veau. Plus de mystère : me voyant approcher, l'une d'elle a simplement souhaité protéger le petit quitte à propulser le randonneur dans le précipice. Des incidents similaires sont déjà arrivés impliquant des vaches. Celles-ci semblaient sauvages et ne possédaient aucuns marquages. Dès lors, j'ai fait du " repérage de bouses fraîches sur les sentiers risqués " un automatisme de précaution en montagne aha Je regagne doucement la ville de Corte vers vingt heures et retrouve ma cousine pour le dîner. Avant de dormir, je visualise quel sera le prochain trek le surlendemain .

 

Mon troisième et dernier trekk du voyage fut le plus difficile.

Il s'agissait de longer la Restonica et de rejoindre le Plateau d'Alzo avant de passer par le Refuge de la Sega et rentrer à Corte par les Gorges du Tavignano

Ce n'est pas la durée ou la difficulté physique qui aura rendu ce trek compliqué mais les conditions de retour les deux dernières heures, qui furent infernales. Et la faute me revient entièrement ! aha

Je commence l'ascension directement depuis la route longeant la vallée, à mi-chemin entre Corte et les Bergeries de Grotelle, grâce au stop. Mon erreur ce jour là fut de partir à 10h30, une heure bien trop tardive pour commencer une randonnée en montagne. J'étais consciente de cette imprudence mais mon retour était prévu dans 2 jours et je refusais de laisser une journée s'échapper de la sorte pour une grasse matinée improvisée ( à savoir que j'ai des troubles d'insomnies sévères depuis de longues années : le voyage à Corte devait me permettre de me reposer et parvenir à dormir ).

Je démarre donc sur un flanc de montagne escarpé et dénué de toute végétation, le soleil à son zénith tape douloureusement sur mes épaules. Je n'ai ni crème solaire ni casquette ( je vous avais dit que je regretterai mon matériel resté à Paris...). J'ignorais que cette étape serait la plus physique de la journée. Les virages se multiplient sans relâches et il est difficile d'en voir le bout, pas une ombre ne se dessine au sol. Peu avant le sommet, il me faudra reprendre mon souffle, accroupie derrière un rocher pour me soustraire quelques instants à la chaleur, ma tête commençant à tourner. J'étais presque arrivée sur le plateau lorsque tout à coup, la montagne sembla trembler et mon corps se figea net une fraction de seconde avant de se recroqueviller par réflexe sur le sol. Une énorme déflagration absolument assourdissante venait de retentir. J'eu à peine le temps d'apercevoir en relevant le visage, de l'autre côté de mon champ de vision, un engin aérien qui filait à toute allure de l'autre côté du ciel. J'apprendrai plus tard que la Corse a une base aérienne active et qu'il s'agissait sans aucun doute d'un entrainement d'avion de chasse. Je reste en position encore plusieurs minutes, appréhendant l'arrivée possible de ses collègues mais rien ne vint. Vers 13h, j'arrive enfin sur le Plateau d'Alzo. J'y trouve une petite bâtisse et une stèle religieuse ; je m'y repose 40 minutes.

Je progresse ensuite en direction du Refuge a Sega, de l'autre côté du plateau d'Alzu en contre bas. L'extrémité du plateau est jonchée d'arbres couchés au sol et le chemin est complètement barré mais je passe entre les rondins et parviens au bout de 5 minutes dans les branchages à retrouver le sentier d'origine : une fois arrivée au refuge, le coup de coeur est immédiat. Je prend le temps de me rapprocher de ces piscines naturelles et regrette que la période automnale rende impossible la moindre baignade mais je promet intérieurement d'y revenir un jour d'été. Il est désormais 18h et la nuit sera totale dans 1h30 ; je suis très loin de la maison, le refuge est évidemment fermé. Je débute alors le retour du Refuge a Sega jusqu'à Corte en passant par le Tavignano, et l'amerturme de mon départ tardif à 10h30 commence à monter : je n'ai pas de lampe torche ni de vivres, je n'ai plus d'eau et ma batterie de téléphone s'épuise de plus en plus vite. Je presse donc le pas mais l'inévitable arriva à mi-parcours : je me retrouve dans l'obscurité la plus complète sur un sentier que je ne connais pas, entourée de bruits naturels et inconnus. Et la nuit en montagne.... c'est la nuit absolue ! Le Tavignano est un sentier à flanc de montagne, échappant à la lueur de la Lune et les lumières de la civilisation sont absentes. Je progresse avec mon flash de téléphone et reçois à nouveau du réseau : j'aperçois ma position GPS encore très éloignée et rassure ma tante. 15% de batterie.

Il m'aura fallu 1h30 dans l'obscurité complète pour apercevoir les premiers lampadaires de Corte, avançant à tâtons dans le chemin tortueux, tantôt raide, tantôt accidenté. Recroquevillée toutes les 3 minutes, je frôle avec ma main le sol pour deviner son relief et je me parle à voix haute pour me rassurer : " Allez ma fille ! Tu t'es foutu toute seule dans cette merde donc en avant, tu gardes ton sang-froid et ça va aller ! Hop hop on y va !! " Psychologiquement, le plus dur était les faux espoirs provoqués par la dynamique du sentier qui serpente à flanc de montagne, vous donnant l'impression de vous rapprocher du but mais vous rappelant que les nombreux coudes empruntés n'étaient qu'un détour et équivalaient à moins de 10 mètres en ligne droite en direction du but. Je foule à nouveau le bitume vers 20h30 ce soir là, et pleure silencieusement d'épuisement et de soulagement devant la fin de ce calvaire. Je rentre penaude et bête à travers la ville et m'écroule dans mon lit ; le lendemain ma tante me regardera d'un air coquin et rieur : " Alors... on a bien dormi ? ça te servira de leçon ? " Elle avait tant raison et devinait bien à ma tête que j'avais morflé ! aha 

Les derniers jours restants se limiteront à la découverte de la ville et à la poterie. Le dernier soir, ma cousine m'invite chez son amie pour prendre l'apéro mais le vin, délicieux, aura raison de moi : arrivées à 20h, nous repartons vers 01h du matin et ma cousine regagne son domicile. En me dirigeant vers l'atelier pour retrouver mon lit, je titube, totalement ivre. Quelques heures plus tard, ma cousine me réveille et me secoue, j'ai loupé mon réveil et mon avion part dans 1h30, l'aéroport est à 1h de route. Je remplis mon sac à la va vite sans vraiment y regarder, grimpe dans la voiture et nous démarrons à toute berzingue ! En cours de route, mon visage passe par toutes les couleurs et c'est arrivé au blanc, en pleine départementale, que je demande brusquement à la pilote de s'arrêter pour vomir. Nous repartons aussitôt, et aux abords de l'aéroport ma cousine anticipe " On aura pas le temps de se faire la bise, t'en fais pas pour moi je te dépose devant et tu cours, il y a peut-être encore une chance ! " Je saute de la voiture et, passé les portes de l'aéroport, je vois le guichet de ma compagnie déjà fermé. Je ne peux pas passer la douane. Désespérée, le guichet d'en face m'aperçoit et me propose son aide : je ne sais par quel miracle, ils me rédigent exceptionnellement un papier à la main pour faire office de billet ! Du jamais vu pour ma part et c'est avec ce mémo manuscrit que je passe la douane et accède à mon avion en courant. Après avoir décollée, l'état d'ivresse me rattrape à nouveau et le personnel observe mon état comateux, transpirant et trouble : le mal de mer dans les airs, c'est quelque chose ! Je leur demande un anti-vomitif prétextant la maladie des transports en lieu de celle des spiritueux et bien qu'aucun d'entre eux ne semblent dupes, ils s'exécutent et compatissent discrètement aha

 

 

C'est ainsi que s'achève mon aventure corse, intense jusqu'aux dernières secondes !

 

 

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