POURQUOI VOYAGER ?

 

 

Dès que mes deux jambes furent en mesure de me faire marcher, j'eu l'habitude tenace de les laisser me guider , à mesure que mon esprit glissait , de papillon en papillon . J'avais également petite ce qu'on peut appeler le syndrome du survivant : je m'appliquais avec grande passion et excitation à créer des paquets de survie que je cachais sous mon lit . Cette aspiration provenait droit d'un de mes contes de chevet . En effet, je croisais avec admiration pour la première fois la silhouette très plaisante d'un sac , seulement constitué d'un tissu et d'un bâton, pour voyager : le baluchon .

 

Petite, la plupart de mes héros favoris n'avaient alors ni épée ni baguette magique mais ce fourre-tout d'aventure hissé sur l'épaule.

Je récupérais des conserves dans les placards, jumelles pour enfants, paquets de gâteaux, couteaux-suisses, crèmes , et empaquetais le tout fièrement , dans l'attente à demi avouée d'une catastrophe soudaine qui viendrait précipiter mon destin d'enfant banal dans une de ces épopées fracassantes  . 

 

Depuis je suis allée à l'école, avec un cartable qui ne rentrait plus dans un chiffon .


I – Le voyageur

 

 

Si j’ai toujours reconnu la Musique et l’expression corporelle de l’homme comme ses créations les plus majestueuses et remarquables d’exister, il est d’une activité ou plutôt d’un état d’âme que je préconise au plus large nombre : La route . Le voyage est la plus belle métaphore existentielle que je prête à la Vie. 

 

 

Je parle ici du verbe Voyager ,dans ses lettres d’or. 

 

Je parle ici du Vagabond, de sa racine vagabundus , vagari, «  vaguer » sur les flots. 

 

Je parle ici de ce trou d’air dans le quotidien filandreux de nos journées occidentales qui ne ressemble

à aucun autre, où l’espace et le temps se suspendent, se distordent et la pensée prend place, se matérialise. 

 

 

Des poumons lui apparaissent et l’assimilation de l’air se fait particulière . A la fin du premier trajet, face au miroir , si le Voyageur a bien vécu l’expérience au niveau le plus intime de lui-même, il observera étrangement ces nouvelles branchies de la Découverte qui lui creusent la poitrine. Des poumons lui apparaissent et l’assimilation de l’air se fait particulière . Il quémandera à travers de nouveaux horizons de pensée cet oxygène nouveau, qui ne dépend plus de lui . Il pensera indubitablement à la prochaine évasion . 

 

Il aura plongé tête la première dans un monde qui tourne sans lui, il se sera confondu de toute sa silhouette dans l’immense rouage du Jour et de la Nuit , dans ces visages inconnus qui vaquent à leur propre fil rouge, leurs propres vies .

 

Il aura observé ces cahutes fumantes d’où sortent des repas anonymes pour lui , familiers pour Eux . Il se sera oublié pour se laisser  entraîner par le rythme implacable des choses . Il aura vu sa pâle copie dupliquée restée chez lui , en parallèle de ses yeux actuels , grands ouverts sur une dimension qui ne lui appartient pas .

 

 


 

II – Viae

 

 

Voyage est formé de la racine latine Viae 

qui signifie « route » , « voie » mais aussi « à travers » 

 

Et c’est bien cet état transitif si particulier qui ravage les âmes gourmandes comme la mienne.

 

Entre deux réalités, fixé entre un passé imminent et un présent en attente du retour, le voyageur met sa vie empirique entre parenthèses, il la fige et se permet une des plus belles siestes de l’esprit : l’introspection naturelle , douce et sage.

 

En se plongeant dans l'Inconnu le voyageur abandonne, en même temps qu’il se saisit de son sac, les dernières réalités qui le composaient . Positifs comme négatifs, ses souvenirs court terme , ses responsabilités, ses attentes, ses pensées matérielles et urgentistes , tout fond lentement comme glace au soleil à mesure que ses pas l’éloignent de sa zone de confort.

 

Nul besoin de répéter d’illustres et vérifiés explorateurs : nous en revenons toujours changés.


 

 

III – Le Vagabond

 

 

Je ne peux dissocier du Voyage le vagabond.

 

Mon deuxième tatouage lui fut consacré, sur l’épaule gauche . 

Du latin vagabundus, fixé littéralement au XVIème siècle " en perpétuel changement " et signifiant : 

 

  1. Qui se déplace sans cesse, qui mène une vie nomade, errante
  2. Qui mène une vie sans ordre, sans but, qui ne se fixe pas sur un projet, une idée
  3. Qui fait l'école buissonnière, des fugues, qui rompt les liens familiaux et sociaux pour errer seul
  4. Qui semble avoir une course aléatoire, dont le tracé est changeant, sinueux
  5. Qui passe sans cesse d'un objet à l'autre, qui ne peut se fixer, s'arrêter sur quelque chose 
  6. Courant électrique libre, non canalisé

Voici jusqu’à aujourd’hui la définition la plus à même de me dessiner, tant d’un point de vue métaphysique que psychique. J’ai longtemps pensé que mon instabilité constante en parallèle d’un contrôle émotionnel très fort, était une faille, un défaut. J’ai finalement apprivoisé ce fait pour l’exploiter, le disséquer, l’améliorer, le renforcer , le soulever de terre .

 

 

 

En chaque voyageur se trouve un vagabond en pleine croissance, dans le jardin silencieux du monde . 

A l’instar d’un arbre, les voyages multiplient les branches et parfois, enfantent quelques bourgeons .

 

 

 

Une quiétude d’esprit plus tenace, des idées foisonnantes, une objectivité grandissante, une relativisation des vicissitudes de notre espèce…autant de cadeaux dont notre esprit peut jouir au cours et à l’issue de la route . 

 

 

Voyager, c’est accepter de retourner à notre état primaire :

 

Seul , enfant du liquide amniotique du monde, berçant dans la mouvance de l’instant . 

Perdre pieds, abandonner le contrôle et prendre ce qui est à notre portée . 

 

 

Chacun de nous peut s’y laisser tenter, car nous sommes tous composés du même sentiment originel , transparent et incontournable : la solitude. Nous sommes tous arrivés ici bas seuls . Cet état est naturel et non à craindre.


 

 

IV - Mise en condition

 

 

Un Voyage est un parcours nous l’avons dit physique et mental et c’est cette activité seule qui fait la chose, non pas la finalité . Ce ne seront pas vos photos, vos brochures, vos souvenirs ni même pour exemple, ces papiers, que je rédige désormais à froid.  Ce qui constitue l’aventure c’est ce moment x, que vous ne saisirez jamais de vos mains mais que vous pourrez choisir d’accueillir en plein visage, toutes armes au sol, de votre vulnérabilité d’homme pleine . Au début, peut-être ne le reconnaîtrez vous pas ; particulièrement si vous voyagez autrement que seul. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante , vibrante et multiple que lorsque j’étais infiniment seule, temporellement, émotionnellement et physiquement.

 

Une ascèse mentale est le tremplin par excellence du Voyage. 

 

Ce n’est qu’à cette étape qu’il vous faudra peut être vous battre, selon votre niveau de solitude habituellement toléré. Prendre la route, c’est avant tout accepter de se voir, d’affronter le miroir de sa vie.

 

C’est regarder le plafond du monde comme on observe ses entrailles, c’est le grand inventaire du tout

 

 

" MUTATION "

 

En réalité, cette dernière dénomination constitue le passeport ultime de votre liberté . Effectivement, les hommes, pour s’approprier verbalement un fait et le partager par la communication entre pairs, ont ce besoin littéral de le définir, avec des sons phonétiques, pour sa libre diffusion. 

 

« Un hom-me, un ar-bre, un pou-ssin »

 

En désignant cette chose présente sous leur yeux, ils en obtiennent une part de contrôle. Un contrôle peut être minime métaphysiquement, mais au moins mental par la pensée qu’ils peuvent lui en attribuer.

 

Vous devenez alors soudain, Individu.

 

Du latin individum, vous choisissez de ne faire enfin qu’un avec vous-même et devenez « indivisible » . Plus précisément, vous êtes désormais « une entité autonome qui ne peut être ni partagée ni divisée sans perdre les caractéristiques qui lui sont propres » . Mais également dans un registre qui se voudrait péjoratif : « une personne non identifiée » .

 

En effet, rien n’est plus dangereux qu’un humain dont on ignore tout et qu’on ne peut décemment définir . Sans identité propre, il devient insaisissable car inexistant de notre vocabulaire. Prenons pour exemple actuel et brûlant la question du terrorisme au sein des terrorisés, de l’identité et de son contrôle procédurier. Quand bien même des faits nous échappaient, les hommes ont eu ce besoin de l’expliquer, de se l’approprier, en lui prêtant des formes imaginaires purement humaines : « Poséidon » fut pour le peuple Grec l’appropriation des phénomènes étranges que demeuraient les tremblements de terres, les marées incontrôlables et autres forces aquatiques de la nature. L'ignorance, l'inconnu et l'incompréhension devaient trouver réponses par une désignation pour devenir gérables.

 

Ainsi donc, être confondu dans une définition pour autrui « d’un individu quelconque non identifié » , c’est gagner de façon certaine l’anonymat et la pérennité de votre liberté individuelle . 

 

 

" On se sent vide, et à la fois infiniment complet . "

 

 


Quelque part entre Kryspinów et Cracovie , 4h30 du matin

 

 

Lorsque branle ballant, un bus nocturne dont je ne connais que la destination s’élance à travers champs dans une campagne polonaise

et que seul mon sac gigotant sous les soubresauts des pneus me tient compagnie familière, je songe à cet état vierge : 

 

 

Personne d’où je viens, à commencer par moi, ne sait où je me trouve .

 

Personne où je vais, à part moi, sait qui je peux être .

  

 

Voilà la fréquence basse et sourde de votre périple ,

qui résonnera d’un écho longiligne et indéfectible

dans le pourtour de votre ombre fuyante 

 

Voilà le moment privilégié de s'oublier,

pour embrasser sans limite, 

tel qu'il se présente à vous,

le monde tout entier 

 

Voyagez

 

 

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