VOYAGEUR ≠ TOURISTE

 

 

Il s'agit là d'un long débat certes, mais qui a son importance dans le monde actuel, à l'heure du tourisme de masse. Je propose ici ma définition du voyageur, à ne pas confondre avec celle d'un touriste pour de nombreuses raisons. 

 

 

1 ° / VOYAGER N'EST PAS UNE CHECK-LIST 

 

Il est assez facile de reconnaître un baroudeur et un touriste entre ces deux questions :

1 - Super, tu voyages depuis longtemps ? 

2 - Super, t'as fait quoi comme pays ? 

 

Le nombre de pays, la bucket-list que l'on déballe... et cette phrase, " faire un pays ". Là est le commencement de cette scission entre les deux termes. On ne fait pas un pays : on traverse un territoire, une portion de sédiments régie par des lois humaines propres à ses habitants. Voyager n'est pas une compétition, le rapport quantitatif est donc puéril et hors-sujet.  

 

Le voyageur s'inscrit dans le Temps, lorsque le touriste a une position sociétale lui permettant de s'extraire de sa région d'origine pour s'exporter rapidement d'un bout de Terre à un autre afin de consommer une expérience, déjà définie dans la durée.

 

 

2 ° / LE VOYAGEUR N'A PAS D’ITINÉRAIRE PRÉCIS

 

Le voyageur n'a pas de parcours défini et n'exploite pas sa venue dans un lieu par une check-list interne composée de musées, de monuments célèbres, de place-to-go dont il ramènera des souvenirs comme des trophées de chasse magnétiques disposés sur le frigo ( un peu de caricature, ça fait du bien aha ) 

 

Les villes touristiques largement visitées sont en quelques sortes quadrillées d'un dispositif de flux axés autour de la culture, du loisir, du divertissement et de la consommation à l'instar d'un grand parc d'attractions : le voyageur y est la plupart du temps tout à fait insensible ou sans effets d'influence notables. Une expérience authentique et donc par conséquent unique et singulière, est plutôt la bienvenue. 

 

Sortir des sentiers battus est une évidence, fonctionner avec une carte également. Je suis personnellement toujours surprise du manque général d'appréhension géo-spatiale des visiteurs lorsqu'ils évoquent les dits-lieux, usant de repères modernes comme un shopping center mais étant incapables de situer les éléments vus avec des points cardinaux, même approximatifs. Le rapport aux distances également est souvent très biaisé, raccourcis par les transports en communs ou voies rapides.

 

Le sens de l'orientation, lui, est encore différent. Il s'agit d'une aptitude que l'on peut entraînée et apprendre mais qui reste parfois, pour certains voyageurs, un vrai problème. Le mien est par chance très développé, mon conseil pour se tester est de profiter d'un long trek en montagne : dans un paysage mouvant, obstrué et au motif récurrent, l'exercice devient rapidement révélateur.

 

 

3 ° / VOYAGER SANS BUT, SANS PROVOQUER LE RETOUR D’EXPÉRIENCE

 

Une grande différence avec le touriste qui souhaite un retour sur investissement de cette escapade organisée, c'est la propension du voyageur a laisser la mécanique du monde réel danser autour de lui, le bercer et le conduire à travers les aléas de la région qu'il explore, sans attentes ni exigences. Les rapports sociaux ne seront pas forcés ou contextualisés dans un rapport de consommation, l'authenticité ne sera pas recherchée mais accueillie. 

 

4 ° / LE VOYAGEUR S'ADAPTE 

 

L'humain qui transite sur des terres inconnues a conscience de sa position de visiteur étranger et prend donc pour acquis un comportement constant d'adaptation à l'environnement, et non l'inverse. La zone de confort est malléable, souple et préparée pour perturber le moins possible l'écosystème que l'on rejoint ( humains, faune & flore ) et un rapport d'humilité sincère est présent. Il souhaite éviter de troubler par sa venue le moindre élément du paysage et se fondre avec naturel dans le quotidien des habitants. 

 

Tisser du lien, réel et perceptible. Se présenter Soi, avec nos failles, nos vulnérabilités, sans Ego ni ambitions. Se démarquer des anonymes visitant leurs lieux de vie, y voir des humains avant des commerçants, des travailleurs, des chauffeurs disséminés dans l'activité touristique. Faire des rencontres, des vraies. La plupart seraient surpris du décalage entre le comportement servi aux touristes et celui accordé aux voyageurs, aux nouveaux amis d'un jour. 

 

5 ° / VOYAGER AVEC ETHIQUE & CONSCIENCE

 

Dans une dynamique logique de connaître réellement une région, les accès à leur culture sont souvent privilégiés par le voyageur à travers une consommation éthique, auprès d'artisans et producteurs locaux. C'est une façon de soutenir réellement les territoires sans les appauvrir via le biais d'un enrichissement de multinationales les exploitant ou écrasant leurs emplois. Le voyageur prend le temps de comprendre ce qu'il découvre, de voir l'envers du décor sans se laisser abuser par la vitrine générale, largement plébiscitée. 

 

 

6° / LE VOYAGEUR VIT, LE TOURISTE SURVOLE 

 

Ici demeure la plus grande différence, au niveau de la résultante des expériences relatées. Un touriste pourra vous énumérer les attractions effectuées lorsque le voyageur vous racontera essentiellement des souvenirs, composés d'émotions réelles et intenses. Lorsque l'on voyage, on s'inscrit dans l'environnement au niveau le plus personnel de nous-même, engageant notre sociabilité, communication et caractère : notre vie devient indubitablement liées à d'autres, inconnues jusqu'alors. On mange, on dors, on festoie chez des hommes et femmes rencontrés il y a quelques heures ; des noms sont rapidement posés sur ces visages devenus subitement familiers. Une fois le sac à dos repris, un morceau de nous reste solidement ancré pour toujours à cette parcelle de terre que nous quittons. Le voyageur intègre l'expérience, se (re)questionne toujours et accepte les " claques d'humilité " que cette généreuse Ecole de la Vie lui apprend chaque jour. 

 

 

 

7 ° / LA DISTANCE NE FAIT PAS L'EXOTISME NI LE PRESTIGE

 

Le dernier point, largement observé par mes collègues voyageurs, est l'étrange aspect prestigieux communément donné aux destinations les plus lointaines, ayant nécessité le plus long déplacement : une semaine en Corée du Sud suscite d'entrée de jeu davantage d'intérêt qu'un mois au Portugal ou en Italie. Pourtant, la façon de voyager fera ici toute la différence avec le contraste souhaité. C'est pourquoi un voyageur raisonnera en expériences vécus, et non en destinations ; le trajet restant plus important que l'arrivée. 

 


 

CONCRÈTEMENT CA DONNE QUOI ?

 

En combinant mon expérience et celles des voyageurs croisés, des éléments concrets ressortent facilement comme : la pratique de l'hébergement gratuit chez les locaux ( type couch-surfing ), l'abandon du transport aérien, une préférence pour le train, bus et auto-stop, le fait de cuisiner avec des locaux ou de partager plusieurs activités, de les aider... chacun adapte son mode opératoire, sa méthodologie personnelle. 

 

Voici le mien :

  • Lorsque j'arrive quelque part, la première chose que je cherche est une carte en papier ( la panne de batterie pour le GPS est un classique ).   C'est souvent l'unique chose que je ramène de mes voyages, je ne m'alourdis d'aucuns achats. 
  • Je rejoins les locaux qui m'accueillent et découvre le lieu de vie, leur propose mon aide ( ménagère, cuisine..etc ) 
  • Je leur demande quels sont leurs endroits préférés de la région et garde ce réflexe où que j'aille : au resto, je demande le plat préféré du serveur, idem pour un cocktail auprès du barman etc. Le lien social opère immédiatement et les tips recueillis sont pertinents. 
  • Je possède toujours une tenue sportive et discrète : un legging noir, baskets noires, t-shirt noir ( ou gris, kaki, camel.. ) ; avec un sac à dos contenant le strict minimum. Je lave mes affaires à la main chaque soir et prend le moins d'espace possible dans l'habitation.
  • Je fais quelques courses pour l'habitant ( fruits/légumes, thé, apéritifs ) et consomme au jour le jour beaucoup de fruits achetés dans la rue, je ne fais aucun stock en frigo. 
  • Je sélectionne les régions que je souhaite traverser en fonction de leurs caractéristiques géologiques : j'apprécie énormément la nature et la montagne ainsi que les activités humaines les environnant. 
  • Je partage beaucoup de moments avec les locaux après mes escapades solo la journée : du kayak, randonnées, concerts, apéros, danses, sport...etc ; je suis toujours partante et ouverte aux propositions, pose des questions et initie également des moments de conversations sincères et profonds  ( débats sociétaux, rêves enfantins, vocation, existentialisme... ), les locaux se laissant aller aux confidences ou récits.
  • Je suis toujours prête à toute éventualité, positive ou négative : je ne relâche jamais mon attention et reste alerte si ma sûreté l'exige. La peur ne fait pas partie de mon vocabulaire, la vigilance la remplace. Cela me permet de m'ouvrir au hasard des choses, sans refuser la moindre opportunité qui se profile à l'horizon tout en restant sereine.  

 

A travers quelques anecdotes personnelles en vrac,

vous pouvez retrouver les 7 critères cités et leurs applications :

 

 

ADAPTATION / En Andalousie, l'objectif était de randonner à travers les montagnes de la Sierra Nevada : à cause du froid nous avons annulés et parcourus la région en autostop. Nous y rencontrons Rémi et son camion à Grenade qui nous emmène à un festival clandestin dans les sources chaudes de Santa Fe, à l'issu duquel je kidnapperai un chien maltraité que je confierai à un refuge dans une région éloignée. 

 

COMPRÉHENSION / Lors de ma venue à Rome, je n'ai pas visité le Vatican face à la queue démesurée qui m'y attendait mais j'ai pris un bus avec une amie pour la première destination dispo à la gare : L' Aquila. Nous avons donc découvert, par pur hasard, une ville fantôme détruite par un séisme quelques années plus tôt et observés les rouages sociaux-politiques environnant la crise ( slogans nationalistes, corruption, protestations etc

 

ÉMOTIONS / A Naples, je n'ai pas visité le Vésuve ni faits les boutiques de la via Toledo mais j'ai fait l'amour avec un sculpteur italien sur le toit de l'Eglise Sainte Marie de Constantinople en face du Musée archéologique national après qu'il m'ai cuisiné des raviolis dans son atelier en alcôves, alors ancienne abbaye. 

 

RENCONTRES / A Malte dans la ville d'Attard, je fus logée gratuitement à la Villa Bologna, une maison seigneuriale, dans une chambre vieille de 600 ans et fit un repas impromptu entre mon hôte, grand avocat, un célèbre cuisiner et Jasper Peter Paul Sybrand de Trafford, l'héritier du lieu. 

 

Pendant mes 3 jours à Altamura, j'ai rencontré toute la bande d'amis de mon hôte qui m'accueillirent le soir-même à un concert, anniversaire et fêtes, m'offrirent tous ensembles des restos pour me faire découvrir leur culture, m'emmenèrent à la campagne rencontrer les anciens, me présentèrent leurs familles, leurs traditions. 

 

AUTHENTICITÉ / En Corse lors du GR20, nous sympathisons tant avec les gérants d'un refuge que nous restons sur place un jour supplémentaire, dînons avec eux une fois les clients couchés, travaillons avec eux en cuisine, hurlons de rire ensembles à la tablée. A l'issue de ces 48h, ils nous proposent de travailler avec eux la saison suivante, dans ce paysage idyllique. 

 

ETHIQUE / Au Japon, une rencontre avec un japonais du nom de Kamo nous emmène à un festival d'été populaire éloigné dans la banlieue : nous étions les seules européennes avec mon amie parmi la foule et avons pu goûter les produits des étales grouillants de mets traditionnels fait-maison. Sauvegarder mes économies dans un hébergement gratuit via le couch-surfing permet également l'achat de produits plus onéreux mais locaux : j'ai pu ramener en France une lourde cloche en fonte d'un atelier japonais. 

 

DISTANCE / Ex : Je n'ai pas fait l'Italie, mais j'ai parcouru plus de 35 villes à travers le pays dont la Sicile, totalisant 4835km de trajet depuis mon domicile, durant 1 mois et demi. 

 

 

 


 

CONCLUSION

 

 

Ce sont des anecdotes parmi une centaine, cumulées au fil des voyages que seule une attitude de voyageur a pu provoquer. C'est pourquoi ce que nous entendons par voyageur, solo-traveller, globe-trotter, vanlifeur...etc a son importance. Il va sans dire que le peu d'individus européens soit-disant baroudeurs et aperçus dans des capitales asiatiques pratiquant la manche auprès des riverains pour prolonger leur trip, ne peuvent selon moi rentrer dans cette définition. Il en va de même de ces créateurs de contenus venus chercher des éléments digitalement exploitables, au détriment de l'authenticité des choses. Ni bien sûr des touristes, ici définis. 

 

 

 

Etre touriste ou voyageur n'est donc pas

 

un statut ou une identité,

 

mais une mentalité,

 

qu'il tient à chacun de choisir. 


La lecture sur ordinateur

est recommandée sur ce site

 

 

 Tous droits réservés ©

sanuwartshop@gmail.com